Maryan Benmansour • Poétique et politique : le communisme inavouable — Lecture de Maurice Blanchot • ENS Rue d’Ulm, Paris

Document du samedi 23 novembre 2013
Article mis à jour le 27 février 2015
par  Maryan Benmansour , wm

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Le mercredi de 21 à 23 h,
2013 : le 6 novembre, le 4 décembre ;
2014 : le 8 janvier, le 5 février, le 5 mars, le 9 avril et le 7 mai.

« Jusqu’à quel point y eut-il tournant ou conversion ? De quelle nature au juste ? Et combien de temps cela prit-il ? »…

Tels sont les termes par lesquels Jean-Luc Nancy (Maurice Blanchot Passion politique) réitère l’interrogation sur la trajectoire politique de Blanchot, cette trajectoire extrême qui a occasionné les polémiques que l’on connaît. Il nous invite à approfondir l’enquête déjà riche de travaux historiques et biographiques en prenant de la distance avec les catégories historiques et politiques ordinaires, en rompant avec leur caractère d’évidence, pour revenir sur l’histoire qu’elles servent à oblitérer. Et ce que nous découvrons grâce à lui, ce que nous retrouvons à l’occasion de la publication de la « lettre-récit » de Blanchot, c’est bien un certain silence : une résistance à penser l’extrême qui nous advient depuis les années trente. Résistance toujours vive.
D’où l’appel lancé par Jean-Nancy « à un vaste travail d’ensemble que seule la distance du temps permettra ».

Aux dimensions historiques et politiques d’un tel programme devrait s’adjoindre une réflexion poétique qui porterait sur le point de rencontre entre l’écriture et la politique, réflexion qui suppose elle-même la possibilité de défaire ces deux dernières catégories, voire de se défaire de leur opposition.

Telle serait là notre insistance.

Or comment penser ce point de rencontre, le nouage/dé-nouage, de l’écriture et de la politique ?

Il est un mot chez Blanchot qui semble se dégager et prendre une valeur singulière, c’est le mot « communisme ». L’hypothèse que nous tenterons de soutenir cette année, c’est que « communisme » est le nom donné par Blanchot à ce nouage/dé-nouage.

Il revient à son ami Dionys Mascolo d’avoir présenté cette idée sous la forme d’un axiome : « notre complicité se fondait sur la reconnaissance commune d’une vue tout à fait simple, qu’il n’y eut jamais lieu de discuter, et sur laquelle nous ne sommes jamais revenus : celle qui de l’existence de la littérature fait conclure la nécessité du communisme » (extrait d’une lettre citée par Nancy).

Mais cet axiome lui-même est peut-être légèrement réducteur, comme nous le laisse penser la Note qui ouvre l’Entretien Infini :
« Écrire en ce sens (en cette direction où il n’est pas possible, seul, de se maintenir, ni même sous le nom de tous, sans des tâtonnements, des relâchements, des tours et des détours dont les textes ici mis ensemble portent trace, et c’est, je crois leur intérêt), suppose un changement radical d’époque — la mort même, l’interruption- ou pour parler hyperboliquement, « la fin de l’histoire », et, par là, passe par l’avènement du communisme, reconnu comme l’affirmation ultime, le communisme étant toujours encore au-delà du communisme. Écrire devient alors une responsabilité terrible. »

L’écriture, en ses tours et ses détours, en ses tracers et ses trajets vers l’expérience de ce qui ne cesse de se dérober à la présence — l’écriture se soutient d’une supposition que Blanchot nomme « communisme » : mais qu’est-ce que le communisme ? Et surtout qu’est-ce que ce communisme qui est toujours encore au-delà de son nom ? Pour quelle raison l’écriture devrait-elle se soutenir du communisme ainsi conçu ?
Une telle supposition n’est-elle pas celle de toute poétique depuis le romantisme, celle d’une communauté à venir ? Ou bien y-a-t-il justement un tournant ?
« Communisme », ici, ne viendrait pas nommer simplement un projet politique particulier mais serait plutôt le nom d’une communauté inscrite en un espace littéraire et politique (et/ou ni littéraire ni politique), d’une communauté toujours encore imprésentable, extrême, sans dénouement. Un régime d’écriture.
Le communisme serait le pas à franchir de la poétique et de la politique.
Mais de quel communisme l’écriture/la poétique peut-elle toujours encore se soutenir ? De quelle communauté ? De quel commun ? Comment l’être-en commun est-il pensable sans présence ?
Comment la littérature peut-elle même exister ?

Ces questions que nous posent la pensée et l’œuvre de Maurice Blanchot formeront l’horizon à partir duquel nous poursuivrons notre travail de lecture.